150 personnes ont participé aux différents échanges de la rencontre de trois jours de la plateforme vers une grève sociale transnationale les 21,22 et 23 octobre à Paris. Les participants, travailleurs et activistes, sont venus d’Italie, de Grande Bretagne, de Slovénie, de Bulgarie, de Pologne, de Suède, d’Allemagne et de Belgique. Acteurs du mouvement français contre la loi travail, salariés d’Amazon de Pologne, d’Allemagne et de France, grévistes de Deliveroo en Grande Bretagne, travailleurs migrants d’Italie en lutte contre l’exploitation et aux lois relatives à l’immigration, travailleurs du secteur social et de la santé d’Allemagne et de Suède, activistes sur la route des Balkans, médecins internes anglais et étudiants slovènes, tout un monde du travail insoumis s’est réuni à Paris afin de discuter autour de la problématique de surmonter les limites des mobilisations et initiatives au niveau local et les relier dans le cadre d’un projet commun.
Après avoir déclaré à Poznan l’an passé que l’opposition à l’état actuel des choses en Europe ne pouvait que partir du refus de l’exploitation et de ses conditions politiques, l’enjeu de la rencontre de Paris a été de faire un pas supplémentaire dans la consolidation de notre infrastructure transnationale commune. Pour être efficace, la coordination transnationale doit se baser autour de l’insoumission au travail qui se déroule dans de nombreux endroits en Europe et qui est pratiquée par des sujets qui individuellement et collectivement refusent d’être à la disposition du Capital. En conséquent, l’infrastructure transnationale ne se détache pas des ancrages locaux et n’est ni simplement la somme de ceux-ci. Et encore moins, c’est un accord formel entre syndicats et collectifs. C’est plutôt un espace pour s’organiser, dans lequel les flux d’insoumission locale peuvent être orientés vers des adversaires communs dans l’espace européen et où à son tour chaque base peut acquérir de nouvelles capacités et de nouveaux alliés au sein de cette interconnexion.
Un mouvement de grève parcourt l’Europe tandis que nous travaillons à créer de nouvelles possibilités pour une grève sociale transnationale. La grève est pour nous le mouvement réel qui peut perturber l’équilibre actuel au sein et en dehors des lieux de travail. Nous voulons consolider une infrastructure politique pour transformer chaque grève en un espace où l’insoumission au travail s’intensifie et où les travailleurs peuvent se reconnaître dans le cadre d’une même lutte tout en surmontant les problématiques des cadres sectoriels, législatifs et frontaliers. Pour ce faire, nous devons renforcer nos liens en intensifiant nos échanges d’informations tout en définissant des objectifs communs.
Quatre axes principaux ont été reconnus ici et ont fait l’objet de quatre ateliers, dont les rapports seront envoyés dans les prochains jours : le contrôle logistique du temps et la manière dont cela s’applique dans les entrepôts, les hôpitaux, les entreprises « internet » et les usines ; la précarisation du travail, provoquée par les politiques européennes appliquées à chaque pays ; la réglementation des systèmes de protections sociales dans le but d’obtenir l’obéissance des citoyens et des migrants dans un environnement de travail social et médical précarisé ; les politiques migratoires qui révèlent l’intégration par la constitution d’une main d’œuvre bon marché et exploitée et qui s’accompagnent du chantage à l’obtention au permis de résidence et du régime de la mobilité.
La soustraction aux applications de contrôle et de comptabilité du temps de travail de la part des travailleurs du secteur social et médical en Suède est en lien au rejet du même contrôle par les travailleurs au sein des entrepôts d’Amazon. La lutte contre la loi travail partage les mêmes motifs des luttes contre les nombreux projets de lois du travail suivant les directives de l’Agenda 2020 de l’Union Européenne. Les grèves des infirmières, des enseignants et des médecins sont également à placer aux côtés des oppositions et des résistances aux coupes sociales menées par les usagers. Le franchissement des frontières par les migrants le long de la route des Balkans est à relier à la lutte contre le racisme institutionnel qui expose les migrants, qu’ils soient de l’extérieur ou de l’intérieur de l’Union Européenne à un chantage permanent.
Notre infrastructure transnationale transforme ces connexions en quelque chose de visible et reconnaissable. Ainsi, elle n’est pas juste un moyen de trouver des contacts au-delà des frontières mais aussi de surmonter les limites des initiatives locales par le développement d’un terrain d’entente. Ce dont nous faisons l’expérience localement est que les luttes confinées dans l’espace se retrouvent isolées, chacune étant centrée sur des revendications particulières ou sur des catégories de travail. Mais le mouvement de grève va bien au delà des frontières institutionnelles. Dépassant le cadre des grèves strictement réglementées, des expériences telles que la grève au sein de Deliveroo ont été enclenchées par un mouvement de base sans aucun lien avec les syndicats traditionnels en impliquant des travailleurs qui techniquement, ne peuvent participer à une grève ; la grève des femmes en Pologne a matérialisé ce que peut être une grève sociale, en créant un espace de refus massif des conditions politiques d’oppression et d’exploitation. Chaque grève peut devenir le point de fixation d’une connexion élargie et partie d’un mouvement transnational.
Afin de renforcer notre infrastructure, nous devons construire notre propre espace et prendre notre temps. Nous voulons transformer l’espace européen avec ses différences internes, au sein de notre espace de lutte, sachant que c’est un long processus. Cela signifie également la construction d’un nouveau langage, d’une nouvelle imagination ainsi que la capacité d’intervenir de façon à transformer nos différences en points forts. Les prochains mois seront consacrés à cette tâche. Nous serons à Londres pour participer à l’organisation d’une «journée sans nous», la grève que les migrants organiseront au Royaume-Uni le 20 février prochain, en apportant notre point de vue transnational et l’expérience passée de la grève des travailleurs migrants. A cette occasion, nous réaffirmerons que la solution de sortie de crise n’est aucunement l’expulsion des migrants et nous interviendrons en disant que les seuls arguments utilitaristes et humanistes ne suffisent pas à contrer le discours et la politique xénophobe. Nous serons à Ljubljana pour rencontrer des migrants et des activistes qui, ces dernières années ont transformé les Balkans en un terrain de bataille politique, ainsi que des travailleurs et des étudiants, confirmant la centralité de l’Est dans la constitution actuelle de l’Europe. Enfin, nous irons en Pologne où une rencontre transnationale des travailleurs d’Amazon est prévue afin de discuter de l’organisation de grèves transfrontalières et de l’initiative symbolique d’organiser une tournée des sites et des entrepôts. Nous affirmerons notre projet commun lors de toutes les occasions où l’opposition à l’Europe actuelle est en débat et l’exploitation est refusée avec l’intention d’être entendu partout à propos du mouvement de la grève. Nous allons travailler ensemble à la construction de moments de visibilité et de mobilisation qui peuvent apporter une résonance à la force de frappe commune que nous construisons au delà des frontières.
Restez à l’écoute de la grève transnationale, elle arrive !